Réemploi des matériaux de construction : vers une technique courante ?

Crises environnementale et sanitaire incitent le secteur du bâtiment à mieux construire en prenant en compte la gestion des ressources. En effet, avec 247 millions de tonnes de déchets par an, le secteur de la construction est responsable de plus de 70% des déchets en France. Ces chiffres justifient l’implication grandissante observée ces dernières années pour le réemploi des matériaux de construction. L’alliance du « Booster du réemploi », lancé par une trentaine d’investisseurs, promoteurs et utilisateurs, illustre parfaitement cette prise de conscience : les parties prenantes des projets (le promoteur, AMO spécialisé , maîtres d’œuvre, architectes, entreprises, conseils, bureaux de contrôle, BET chargé de la préconisation , de la traçabilité et de la certification …) s’engagent à utiliser des matériaux de réemploi issus d’anciens bâtiments déconstruits sur 150 chantiers, soit 5 par an.

Entendons par réemploi « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchetssont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » (art. L. 541-1-1 du Code de l’environnement). Il est essentiel de le distinguer de la réutilisation, laquelle désigne « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau » pour un usage différent de celui initial.

La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire précise que « dans le cadre d’un chantier de réhabilitation ou de démolition de bâtiment, si un tri des matériaux, équipements ou produits de construction est effectué par un opérateur qui a la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés, les produits et équipements destinés au réemploi ne prennent pas le statut de déchet. » Quid des matériaux réutilisés ? La loi reste silencieuse sur le statut des matériaux dans le cadre de la réutilisation. Quel est la « qualification et le statut assurantiels » de ces matériaux ayant une seconde vie ? Quelle est la qualification de ce matériel de réemploi appartenant lors de sa 1ere vie à la famille des EPERS ?

 

DES RESPONSABILITÉS REBATTUES ?

Selon Lara le Péru, associée du cabinet Chevreuse Courtage, le sujet des responsabilités se pose dès la phase de déconstruction de l’ouvrage existant dans le choix des matériaux à conserver, le mode de prélèvement à adopter pour ne pas endommager la matière même du matériau de construction, le mode sélection des matériaux, la conception de l’intégration dans le nouvel ouvrage, le contrôle du stockage des matériaux de construction et leur transport jusqu’au chantier de la seconde. Il apparaît nécessaire d’avoir une filière se structurant pour déconstruire les éléments d’un ouvrage en fonction de leur typologie. Seule une traçabilité quasi industrielle et une professionnalisation des intervenants à l’acte de déconstruire et de construire permettra la sécurisation de la filière et donc l’avenir des matériaux de remploi et de l’économie circulaire dans le bâtiment.

Pour Lara le Péru, il faut changer la terminologie : on ne détruit plus un ouvrage, on prélève avec soin en vue de réintégration dans un nouvel ouvrage. Le chantier de la seconde chance des matériaux réemployés doit être une seconde vie pleine et entière et non un marché de seconde main sans couverture de long terme en capitalisation, d’autant que ces matériaux de seconde vie seront intégrés à un futur ouvrage, dont l’usage peut lui-même être réversible.

Lorsque nos entreprises de bâtiment disposeront de plateforme de matériaux de remploi, nous serons passés du secteur confidentiel de la déconstruction d’un ouvrage pour le remploi de quelques-uns de ses matériaux à un accès libre et documenté à deux types de matériaux le neuf et celui issu de la filière certifiée de la déconstruction.

 

DES FREINS ASSURANTIELS

Ce matériau recyclé devra être par la suite attesté sur ses performances, caractéristiques techniques, réglementaires… les normes de construction et DTU devront- ils être amendés afin de prendre en compte la 1ere vie de matériaux ? Comment évaluer le matériau réemployé et qui va le faire interpelle Lara Péru.

La profession de qualificateur « certificateur ou attesteur » va faire son apparition afin de pouvoir attester le matériau réemployé. Mais les assureurs se questionnent sur la manière dont ils seront diagnostiqués, sur les compétences requises et sur la responsabilité de ce professionnel ?

L’étape la plus importante pour réussir un réemploi est la qualification technique des matériaux réemployés. Il s’agit de vérifier qu’une fois déconstruit, le matériau revêt toutes les caractéristiques essentielles auxquelles il doit répondre en termes de performance réglementaire ou technique afin d’être réemployé dans un ouvrage, ainsi qu’aux exigences de viabilité et de pérennité de la garantie décennale. Malheureusement aujourd’hui, comme le soulignent les assureurs-construction, cette qualification technique est généralement inexistante dans les process proposés, ce qui incite les assureurs à trouver de nouvelles solutions pour accompagner ses assurés.

 

QUELLES SOLUTIONS ?

 Selon Anne-Lise Gillet, responsable en assurance-construction à la FFA, « il faut parvenir à obtenir un référentiel méthodologique de qualification du matériau pour l’ensemble des professionnels afin d’éviter de mauvaises surprises. » Le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) et la Fondation bâtiment énergie y travaillent, avec l’élaboration de guides permettant à la filière du bâtiment de se structurer progressivement. « Deuxièmement, pour passer d’un marché émergent à une réalité économique viable, les assureurs-construction recommandent aux professionnels de développer d’abord le réemploi sur des matériaux de second œuvre à exigence performantielle moindre » tels que « des faux-plafonds, des plafonds, des équipements sanitaires, etc. ». Avec ces étapes intermédiaires mais indispensables, les professionnels du bâtiment n’auront plus besoin de solliciter systématiquement leurs assureurs pour chaque marché de réemploi. Ils pourront se diriger vers des règles professionnelles et, à terme, vers une technique courante approuvée, au même titre que les autres, par les assureurs.

 

Le Cabinet Chevreuse travaille déjà sur un bon nombre de projets en accompagnement de ses clients visant le remploi des matériaux comme le parquet.

 

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